Je suis fadiste
La chair d’Amalia n’appartient pas à mon époque. J’ai glissé et suis tombée dans l’ère nouvelle du Fado, née d’une Lisbonne à la fois confiante et rougissante. J’ai dû gratter la surface, touristique, pour arriver à destination ; passer la première couche, ce pittoresque carrousel de visiteurs, s’enivrant de la mélancolie portugaise et du désespoir de ceux qui tentent de survivre dans la rue tout en gardant leur dignité. J’ai emprunté leur regard à la lune et aux lisboètes, qui ensemble, attendent en vain, quelque chose ou quelqu’un qui ne viendra jamais. Ne restent que les vers, écris en lettres dorées, pour séduire et apprivoiser ceux qui viennent d’ailleurs et accourent pour assister à cette tristesse tant réputée. Flots de promesses rompues dans des vers écris à la sauvette pour des fadistes criant leur feinte tristesse à l’ombre des collines de pierre. Comme le raconte Tristão da Silva dans la chanson “Calçada da Glória*”.
*Rue de la Gloire.
« Qui grimpe cette rue triste et froide
Et pense à sa propre histoire
Ne peut comprendre par quelle ironie
On l’appelle la Rue de la Gloire »
Mon identité visuelle puise sa source dans le monde du fado et contribue à peindre un tableau grandeur nature d’une culture traditionnelle, à travers des centaines de portraits de chanteurs et chanteuses, amateurs, critiques, sceptiques ou encore passionnés, qui se lancent, courageusement, dans les vers et la mélancolie à la recherche de divertissement ou d’inspiration.
« Un chemin grimpant conduit au ciel
Mais combien de fois, la vie, au contraire
Nous a-t-elle montré qu’en grimpant avec sa croix
La bonté de Jésus n’a récolté que calvaire »
Mon parcours créatif s’articule autour de cette identité visuelle, que je travaille constamment, menée par ma curiosité ; celle-ci me conduisant également vers une meilleure connaissance de moi-même. Je me découvre dans le regard que je porte sur les autres et suis toujours surprise de la liberté avec laquelle je capture leurs expressions avec mon appareil Canon noir ; prolongement de mon corps.
« Et cette femme que le destin a fait échouer,
Remonte la rue sans voir sa longue descente,
Le “Bairro Alto*" a volé depuis longtemps sa mémoire
L’empêchant à jamais d’atteindre la Gloire »
*quartier de Lisbonne qui veut dire ‘Quartier Haut’
J’ai poussé la porte de Mesa de Frades en 2019 pour la première fois. Je voulais rencontrer ceux qui dominent le rythme de la guitare portugaise à Lisbonne. J’étais avide de documenter un patrimoine acoustique singulier, qui fait écho aux azulejos séculaires. À la Mesa* (« table » en français), comme on l’appelle, je suis devenue fadiste aux côtés d’autres âmes enjouées qui représentent cette ère nouvelle, celle que j’essaie de peindre afin de la voir subsister dans le temps et de donner tort aux mauvaises langues.
« Celui qui vainc est envié pour sa victoire
Ne pouvant éviter un jugement mauvais
Seulement parce que quelqu’un n’a pas su voir
Le drame dissimulé derrière le sourire. »
Je souhaite continuer à évoluer en tant qu’artiste, en tant que photographe, en tant qu’agent culturel dévouée et j’ai les outils pour contribuer à composer de nouveaux tableaux tout en préservant les paysages anciens menacés par le temps, qui naturellement les transforme, progressivement. Je voudrais continuer à documenter cette évolution, à travers différents sentiments, émotions et expériences. Enfin, je voudrais participer à faire subsister la tradition et la culture.
« C’est pourquoi je suis désolé pour ceux qui vivent,
En faisant semblant d’être heureux
Qui à la fin ne trouvent ni paix, ni chance
Et traversent la vie sans trouver le nord
À la recherche d’affection »






